SEL et JEU, où est le problème ?

Suite aux différents courriers dans lesquels je suis mis en doute , je publie et je réponds au fil du mois de février. Le titre SEL et JEU : où est le problème ?? est volontairement remis à l’ordre du jour , après de long mois de calme relatif et de fonctionnement dans de nombreux SEL tout à fait normal.
SEL et JEU, où est le problème ?
accès direct au site du JEU (jardin d’échange universel)
Le débat SEL/JEU se cristallise autour d’un clivage idéologique rendu caricatural : les tenanciers du SEL seraient somme toute méfiants envers l’être humain, un peu maniaque du contrôle, et parfois simplement à la recherche du pouvoir. Le Jeu, se serait l’autogestion libre, Jonathan le goéland, confiance, maturité, créativité, n’en jetez plus...
Pour ma part, je pense que le problème fondamental actuel est commun au SEL et au JEU, et qu’il ne faut pas que les querelles servent à fuir en avant au lieu de répondre à cela : c’est le manque d’équité dans ce qui est proposé, qui fait fuir au fur et à mesure les adhérents proposant des produits créés (produits agricoles et artisanats). Dans les faits, il n’y a rien de commun entre la couette ou la doudoune reçu gratuitement de La Redoute, le vase offert dont on se débarrasse parce qu’on n’aime pas, l’heure passée au chaud chez soi, à un moment choisi, pour taper un texte par exemple, et dépanner en urgence sous la pluie une personne en piochant dans les cailloux pour lui dégager un tuyau d’évacuation. Dans notre SEL, les personnes produisant des objets d’artisanats ou de la ferme s’en vont au bout de quelques mois, ou cessent d’amener leur produits. Un couple de personnes âgées m’expliquait dernièrement : « nous ne pouvons pas amener cela contre des truffes ». Ils créaient des boîtiers et des tableaux de toute beauté, qui prenaient plusieurs heures de patience et de savoir faire. Au delà de la valeur qu’ils pourraient demander (il faut déjà oser "demander plus"), il y avait là, dit très simplement, le fait qu’ils ne trouvaient tout simplement pas de contrepartie équivalente dans ce qui était proposé dans nos bourses.
Que faire ? Des monnaies d’échange différentes pour chaque type d’échange ? Le problème de manière économiste : il n’y a tout simplement pas création de richesses dans un objet récupéré (type vide-grenier). Il y aurait donc création de cartes géographiques (les unités d’échange) ne correspondant pas à des territoires (les richesses à échanger). La plupart des unités type "vide-grenier" n’aurait donc pas d’équivalence possible avec un objet créé.
Au delà, je pense, au moins pour partie, que cette difficulté a à voir avec la confiance, et avec la cohésion d’un projet commun (force centripète, maintenant les adhérents ensemble), face à l’exacerbation des individualismes (force centrifuge, renvoyant chacun face à lui-même).
Pourquoi est-ce que je m’oppose au JEU aujourd’hui (tel qu’il est proposé autour de moi) ?
Il y a deux difficultés, mais elles sont toutes les deux de taille :
Premier problème : pas de réciprocité.
Paul est âgé, au RMI, sort d’un séjour à l’hosto, il est bougrement sympathique. Il habite une vieille maison, pas très grande. Un mauvais coup de vent, sa cheminée est par terre. Elle s’est effondrée dans la cuisine, en passant à travers le toit. Pas de chance. 3 bonnes journées de travail, à deux. Son copain Alain du JEU lui propose le coup de main. Bonne ambiance, le travail avance, se finit. Un bon repas, arrosé, avec des potes, puis on discute l’échange. 60 unités de l’heure, c’est « la règle », OK : Alain reçoit 1 500 unités, c’est bien normal. Paul sort son carnet à son tour. « Ca va pas », lui dit Alain, « Tu ne trouves pas que tu as eu assez d’emmerdements comme ça ? C’est pas toi qui as demandé au vent de te souffler ta cheminée, non ? D’ailleurs, je vais même te dire : l’esprit de Jeu, pour moi, c’est ça : tu as bossé comme moi, tu n’as eu aucune création de richesse, aucun profit, alors, je vais te marquer 1 500 unités sur ton carnet à toi aussi ». Les personnes présentes discutent, puis acquiescent : on est entre amis.
Est-ce impossible ? C’est possible. Cela s’est fait (l’exemple est créé, mais l’équivalent existe). Cela se fera. Cela ne peut se faire dans un SEL avec un compte centralisé. Où est le problème ? Non, il n’est pas idéologique. Ce qu’ont fait Paul et Alain n’est pas « mal ». C’est « bien ». C’est même tout à fait sympathique. Le seul problème, c’est que l’exemple, une fois connu, se reproduira, puis se multipliera, avec, à chaque fois, une justification nouvelle : « putain, je n’ai quand même pas demandé à ma voiture de tomber en panne, je dois déjà acheter les pièces et réparer dans le froid. C’est toi, ma compagne, qui te servais de ma voiture quand elle est tombée en rade, alors, marque moi des unités. Non, ne t’en enlève pas, ce n’est qu’en même pas toi qui l’as cassé, l’embrayage, tu n’y es pour rien. » Etc...
A terme : le JEU est un compte virtuel, toujours en positif, comptabilisant les bonnes actions, les réparations, les trucs sympas. Pourquoi pas, mais alors, pourquoi compter ? Il suffit d’avoir une ligne de conduite généreuse dans la vie, de développer des qualités de don. Pourquoi un carnet de bonnes actions et de conduites généreuses ? Pourquoi pas, ça ne peut pas faire de mal, c’est même sympa. A condition, bien sûr, que la règle soit connue de tous : cela me semble juste.
Deuxième problème : la responsabilité et la dimension associative.
Daniel D. nous le répète et nous le répépète : en gros, « tout doit être libre, sans contrôle, et l’individu donnera le meilleur de lui-même ». Tout ? Tout. Cela pose une succession de questions autour de la responsabilité, de la consistance du groupe, de ce qui sera réellement mis en commun par les membres du groupe, et de la raison (le sens) pour investir son temps et son énergie dans une telle association.
La responsabilité : tout individu ou groupe peut répondre d’actes ou propos devant la loi. Qui prendra la responsabilité d’une association ou journal ou site, s’il ne contrôle rien de ce qui s’y fait ou dit ? Quand on sait que nous nous situons sur la frange avec le travail au noir, et la fascination qu’exercent les sectes pour certains adhérents, la question vaut d’être posée.
Un groupe sans adhésions, sans statuts (ou alors des plus universels), sans engagement à une participation réelle : quelle est sa consistance, de quoi est-il fait ? Sur quelle base, quel projet lisible une personne aura envie d’adhérer ? Et, par voie de conséquence, quelles seront les personnes qui seules adhéreront ? Qui pourra accéder réellement au projet, sinon par le bouche à oreille et par relations directes ? Autrement dit, ne limitons-nous pas là l’entrée à des personnes ayant déjà fait le choix de la marginalité ?
Surtout : les mêmes travers qui apparaissent dans le système libéral apparaîtront ici : mieux vaudra être en bonne santé, avec une bonne pêche, un réseau d’amis et une capacité à s’exprimer à tout vent que d’être timide, effacé, malade et ne sachant pas trop défendre son cas : dans ce cas, mieux vaut « suivre » et rester dans l’ombre. La société a créé des mécanismes (imparfaits) de régulation et de solidarité, permettant l’expression de tous (le vote) et la protection sociale de tous, même avec une mauvaise santé (sécu, accidents du travail, retraite). Le travail au noir, ou les journaliers à la mode anglaise, c’est un recul pour le travailleur : à part les rares « démerdards », cela se traduit par un travail moins payé, sans rien lorsqu’on est malade, et rien en cas d’accident. Cela pour dire que le cadre légal d’une association loi 1901 et le respect de la loi autour du travail ne sont pas seulement des « choses qui nous sont imposées » : nous avons tout intérêt à les défendre età les pratiquer. Il suffit de voir avec quel acharnement le code du travail et la sécurité sociale sont mis en pièces aujourd’hui par le MEDEF. Ne tenons pas les mêmes discours que les patrons libéraux, défendons tout ce qui reste de solidarité sociale dans notre société : c’est, tout simplement, l’intérêt des plus démunis, et le nôtre.
Enfin, je termine là, nier tout rôle et tout statut aux personnes qui se consacrent aux formes d’organisations collectives (adhésions, informations, relations avec les autres assos, les mairies, etc) va avoir 2 effets pervers : les rares personnes qui s’investiront de fait auront un pouvoir exorbitant, car non repéré, n’existant pas officiellement, à la différence d’un président d’asso qui peut être « déboulonné ». Que faire si on a affaire à une personne mégalomaniaque qui veut garder coûte que coûte le pouvoir qu’elle n’a pas officiellement ? Par ailleurs, le cadre, informel de fait, limitera essentiellement les activités, ou au moins les informations, à un groupe ayant déjà des liens existants, et dans lequel une personne étrangère au groupe aura bien du mal à s’intégrer.
Gérard S. (Sel du Périgord pourpre)
Ce texte n’engageant que l’auteur, demande des réponses sur les points précis abordés, dans le cadre du dossier du mois et pour la première fois sur ce site , nous invitons toutes celles et ceux qui ont un droit de réponse à le faire . En effet le débat déjà très limité, sur une liste de diffusion d’une cinquantaine de personnes et de plus modérée pour ne pas dire censurée, demande à sortir au grand jour. Le JEU n’est qu’une pratique comptable utilisée déjà par de nombreux SEL et sur internet par le SEL Terre et les SEL utilisant ce mode de comptabilité, il n’a rien à voir avec les exemples cités ci dessus , mais bien sûr chacun reste libre de le pratiquer comme il l’entend.
Je répondrai personnellement plus longuement au cours du mois de février.
Bien cordialement à tous nos ami(e)s du JEU et des SEL.
Daniel Delarasse.
Commentaires